TOUR DE FRANCE – Le GALIBIER : sommet des guerriers
Au lendemain de la première ascension du col du Galibier dans le Tour de France, Henri Desgrange, le créateur de l’épreuve en 1903, écrit dans le quotidien L’Auto, ancêtre de L’Équipe : «Ô Sappey ! Ô Laffrey ! Ô col Bayard ! Ô Tourmalet ! Je ne faillirai pas à mon devoir en proclamant qu’à côté du Galibier, vous êtes de la pâle et vulgaire bibine : devant ce géant, il n’y a plus qu’à tirer son bonnet et à saluer bien bas !» C’était en 1911. Depuis, le peloton du Tour de France a franchi ce col à 57 reprises et s’y arrêtera pour la première fois en 2011 pour l’arrivée de la 18e étape, la plus haute de son histoire : 2 646 m. Ce col mythique est le terrain de prédilection d’extraordinaires passes d’armes entre coureurs, des plus grands exploits et des plus grandes défaillances… C’est cette histoire épique que raconte ce Sommet des guerriers superbement illustré grâce aux archives du journal L’Équipe.
Auteur | Patrick Fillion |
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Editeur | L’equipe Eds |
Date de parution | 27/04/2011 |
ISBN | 2363470060 |
EAN | 978-2363470065 |
EXTRAIT
À L’ASSAUT D’UN GÉANT
Le col du Galibier, fortin naturel, est protégé par un hiver vigilant qui phagocyte l’automne et le printemps. Sept mois durant, une conjuration, celle des sommets et des névés, remplit sa mission d’incorruptible cerbère. Mais, dès le solstice d’été, de pacifiques guerriers, de preux chevaliers qui arborent les couleurs de la Petite Reine, s’élancent à l’assaut de ces pentes redevenues amènes. En apparence. Car, pour atteindre le sommet, il faut savoir déjouer les pièges obscurs de l’ascension. Cela dure depuis 1911. Depuis un siècle exactement.
Là-haut, il y a beaucoup de monde. Beaucoup de vélos aussi. Celui qui se tient un peu à l’écart de la foule, massée autour de la table d’orientation, ne tarde pas à découvrir une borne rongée par les intempéries. Il discerne, d’un côté une fleur de lys qui marque la frontière du royaume de France, de l’autre une croix qui délimite le royaume de Piémont-Savoie. L’essentiel de l’histoire des lieux s’y trouve ainsi résumée.
Le Galibier a toujours été une frontière. Les géologues le confirment, qui constatent un brutal changement de nature des roches. Des argilo-schistes sur le versant est et des gypses sur le versant ouest. Ces minéraux ont trouvé l’endroit plaisant et s’y sont installés il y a une dizaine de millions d’années. Mais malgré les apparences, leur cohabitation n’est pas paisible. Comme des sumos usant de leur masse, ils se livrent à une lutte d’influence qui n’est pas sans conséquences sur les souffrances endurées durant le Tour de France. A force de s’appuyer les uns sur les autres, les deux types de roches font grandir la montagne d’un centimètre chaque année. Depuis 1911, date du premier passage du Tour de France, le Galibier aurait donc pris un mètre sous la toise céleste. Inutile de le dire aux coureurs cela pourrait leur couper les jambes.
Le Galibier a toujours été une frontière en même temps qu’un lieu de passage. Avant même qu’il ait reçu un nom définitif, les colporteurs savoyards l’utilisaient pour se rendre de la vallée de la Maurienne jusqu’à Briançon, des Alpes du Nord aux Alpes du Sud. II est plausible, d’ailleurs, que ces itinérants aient contribué à son appellation puisqu’ils finissaient par apprivoiser, dans toutes les contrées qu’ils fréquentaient, des rudiments du patois local pour pouvoir communiquer avec leurs clients.
En picard, le mot galibier existe tel quel et signifie polisson, mais il semble douteux qu’il ait pu être attribué à une montagne qui inspirait plutôt la terreur. En provençal, un galibié est un ravin profond, mais il serait étonnant qu’il ait pu servir par antonymie à baptiser une élévation. Les gens de Valloire, dans la vallée, n’ont guère de doute. Le nom signifie «pierres hautes» de «gai» la pierre et de «lup» la hauteur. Le chanoine Adolphe Gros, auteur du Dictionnaire étymologique des noms de lieu de la Savoie, publié en 1935, indique que Galibier est une évolution du nom allemand Galbert sans établir de lien entre les deux mots. Il aurait pu ajouter que saint Galbert a passé toute sa vie à Aiguebelle, une petite ville qui n’est guère éloignée, dans la vallée de la Maurienne. Il existe aussi le Grand Galbert dans le massif du Taillefer, au sud de Grenoble. Là est, peut-être, la solution même si cette énigme des origines de l’appellation ne sera, sans doute, jamais résolue.
Les guerres et l’armée ont permis au Galibier d’accéder à la notoriété car il est au coeur de l’histoire européenne. Les frontières, souvent enchevêtrées, ont évolué au gré des alliances ou des conflits entre le royaume de France, l’empire d’Autriche-Hongrie et la maison de Savoie, ce qui a conféré aux passages alpins une importance stratégique permanente. Les Français, les Savoyards, les Sardes, les Piémontais ont toujours tenté d’interdire ou de contrôler l’accès à leur territoire en complétant les obstacles du relief. Les fortifications étaient construites, assiégées, prises, détruites puis reconstruites.
La défaite de 1870 et la Triple Alliance à laquelle appartient l’Italie incitent l’armée française à repenser tout son système de défense. Elle édifie des forts dans toutes les Alpes et les relie par des tronçons de routes destinés à faciliter les mouvements des troupes. Le fort du Télégraphe, qui est construit entre 1885 et 1893, bien que situé en contrebas, est chargé de veiller sur la route du Galibier aménagée avec son tunnel en 1891.
Passages du Tour de France
Indiqué à 2 645 m par la voirie, mais avec une altitude réelle de 2 642 m, le col est fréquemment le point le plus élevé du Tour de France, bien que dépassé en absolu par le col de la Bonette (2 802 m au sommet de la route faisant le tour de la cime de la Bonette), le col de l’Iseran (2 764 m) et le col Agnel (2 744 m).
Le col du Galibier a été franchi au total à 59 reprises par le Tour de France, dont 34 depuis 1947, ce qui en fait le col alpestre le plus souvent emprunté par l’épreuve, loin cependant derrière les plus grands cols pyrénéens, Tourmalet en tête avec 77 passages en 2011. Il est classé hors catégorie depuis 1979. Son passage en 1996 a été neutralisé en raison de la neige. En 2011, pour le centenaire du passage au sommet, les coureurs font l’ascension du col à deux reprises, par deux versants différents. La 18e étape offre même l’arrivée la plus haute de l’histoire de l’épreuve. Elle dépasse celle réalisée lors de la 17e étape de l’édition 1986 au col du Granon (2 413 m), également situé dans la vallée de la Guisane.
Voici les coureurs qui ont franchi le col en tête :
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Depuis 1949, sur le versant sud, à la sortie du tunnel, s’élève le monument Henri Desgrange (réalisé par l’architecte Alexandre Audouze-Tabourin), grand champion cycliste de la fin du XIXe siècle et instigateur du Tour de France en 1903, qui donne lieu à une récompense pour le coureur passant en tête au col lors de cette course. Henri Desgrange écrira dans L’Auto au soir de la première ascension du col au cours du Tour de France ces quelques mots : « Oh ! Sappey ! Oh ! Laffrey ! Oh ! Col Bayard ! Oh ! Tourmalet ! je ne faillirai pas à mon devoir en proclamant qu’à côté du Galibier vous êtes de la pâle et vulgaire bibine : devant ce géant, il n’y a plus qu’à tirer son bonnet et à saluer bien bas !… »